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8 novembre 2013 5 08 /11 /novembre /2013 10:20
 
       Voir le Diable et mourir

A l'heure où le fantastique fait recette, il paraît intéressant de confronter un discours aux racines oubliées à la réalité historique. C'est le but de cet article qui reprend un ensemble de situations abondamment utilisées  par les romanciers ou les cinéastes.
 
Les croyances des anciens dépassent souvent les scénarios les plus audacieux. Le document historique est livré avec un minimum de commentaires, afin de lui conserver toute sa valeur narrative. Il est conservé Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle (B8689, information contre Chrétien Pierre de Moriviller, f°12). Ce témoignage, tiré d'une information judiciaire pour sorcellerie, est recueilli par un greffier. C'est la raison pour laquelle il est rédigé à la troisième personne.

Le document
Témoignage d'Adrien Jacot, un habitant de Moriviller1 âgé de 40 ans. Il est daté du jeudi 13 décembre 1601.

"Il y aura lundy prochain quinze jours qu'estant allé au losgis dudit Chrespien2 Pierre, quelque deux heures avant le jour, pour y battre à sa journée3 ; aussy tost qu'il eut entré dans la grange avec une lumière4, le chien de la maison y entra, quant à luy, et commença de crier de la plus estrange façon que l'on sauroit raconter ; et monta sur [un] taxel d'avenne5, continuant son criement sans cesser ; le déposant6, avec sa lumière s'estant approché pour veoir ce que se pouvoit estre, apperceut que tout cest endroit estoit couvert de feu, non comme du feu d'ordinaire ains fors7 estoit comme bleu ; et entendit ung vent estrange par toutte la maison, tel qu'il pensoit que la maison deut estre confondue8 et veoit ce feu tantost en ung lieu tantost en ung aultre ; de quoy il fut tellement espouvanté qu'il fut en deliberation de quicter la besongne [pour] s'en retourner à son losgis9 ; touttesfois il print courage et s'estant muny du signe de la croix10 commença de battre ; le chien neantmoings continuant toujours de criment et saultoit contremont11 aux endroitz qu'il appercevoit ceste forme de feu ; cependant, envyron demy quart d'heure après, ledit Chrespien le fut veoir à ladite grange et au mesme instant qu'il y entra, ledit feu se disparut ; le vent cessa de mener sy grand bruict et le chien descendit embas sans plus faire semblant de crier." 

 
Commentaire
Il est environ sept heures du matin et il fait donc encore nuit, ce lundi 13 décembre 1601. Une lanterne à la main, Adrien Jacot pénètre dans la grange12 de son employeur, un laboureur de Moriviller. Il doit y battre la récolte d'avoine. C'est le début des Avents, un temps de pénitence qui prendra fin à Noël. Les jours sont courts et les gens pensent que les démons profitent de l'obscurité pour s'ébattre librement. Il nefait jamais bon rencontrer ces âmes en détresse errant parfois sous la forme de petites flammes. L'ouvrier agricole n'est sans doute pas rassuré quand il pousse la porte de la grange.
La rumeur sur les méfaits de Chrétien Pierre va bon train. Depuis une dizaine d'années, celui-ci est soupçonné de sorcellerie par les habitants de la région. Ceux qui se sont heurtés à lui voient, dit-on, leur famille frappée par d'étranges maladies.
Le témoignage d'Adrien Jacquot est imprégné par l'imaginaire des populations rurales de cette époque. Deux éléments entrent en jeu dans son récit : le feu et le vent. L'origine extraordinaire d'un vent impétueux bien connue. Ne dit-on pas que les nuées orageuses sont composées d'une multitude d'esprits que le son d'une cloche suffit parfois à détourner ? C'est aussi un souffle bruyant qui accompagne le déplacement des sorciers se rendant sur les lieux de sabbat, conduits par le diable. The Lancashire WitchesLe feu magique, quant à lui, éclaire leurs assemblées nocturnes. Ses flammes d'une couleur bleutée ont la propriété de ne pas consumer le combustible qui les nourrit. Les témoins s'étonnent toujours que la soupe infernale cuise "avec bien peu de bois". Le comportement du chien de la maison confirme l'existence impalpable du Mal dans cette grange. On pense que cet animal, pour lequel l'invisible est généralement si familier, a le pouvoir de déceler les présences maléfiques.
Tout cesse immédiatement lorsque l'employeur pénètre dans la grange. Ce détail du récit d'Adrien Jacot n'est pas sans conséquence. Il confirme l'obligation de discrétion, liée à la réussite d'un projet maléfique. En effet, la victime ne doit pas en connaître l'auteur pour que le maléfice puisse s'accomplir. Très souvent les sorciers interrompent le processus magique lorsqu'ils risquent d'être identifiés. C'est bien sûr le cas ici.
Chrétien Pierre sera exécuté par le feu quelques semaines plus tard.
475px-Willisau 1447

1. Meurthe-et-Moselle, ar. de Lunéville, c. de Gerbéviller.
2. Chrétien.
3. Adrien Jacot est journalier. Il est employé par Chrétien Pierre au battage de l'avoine.
4.Chandelle.
5. Tas de gerbes d'avoine.
6. Le témoin.
7. Mais au contraire.
8. Renversée et détruite.
9. "Qu'il se demandait s'il ne devait pas quitter son travail et rentrer chez lui".
10. Après avoir fait un signe de croix pour se préserver du Mal.
11. Vers le haut.
12. Une grange est une construction en bois qui ne fait pas toujours partie de la maison. Ici elle est éloignée du logis de Chrétien Pierre.
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